mercredi 27 juillet 2016

L'artiste est un clochard

Photomontage - Juillet 2016






L'ARTISTE EST UN CLOCHARD

Elle dessine depuis toujours.
Depuis longtemps, elle passe devant cette galerie.
Bête comme chou, elle rêve, elle imagine, 

elle s’affiche NICOLE GUIDI - GRANDE EXPO en lettres adhésives et en vitrine.
Police Optima ou Futura grand corps.

Un jour, timidement elle sonne, souhaitant qu’on ne l’entende pas.
Aujourd’hui car elle pense que ses petits dessins en noir et blanc pourraient s’inscrire dans une tendance de l’art contemporain et susciter verbiage.


Attendre.


IL ouvre et elle s’excuserait presque de n’être pas acheteur-collectionneur mais artiste.
IL est intéressé, veut voir plus grand.
Elle rougit de l’aubaine.
J’ai bien sûr à l’atelier, merci beaucoup monsieur, merci à bientôt, je reviendrai, oh ouii, j’aime beaucoup votre galerie et ce que vous exposez, quelle chance pour moi, merci.

 
L’épreuve est telle qu’elle doit se remettre avant d’y retourner avec ce qu’IL souhaite.
Plus grand donc ! Et IL aura l’impression de l’avoir fait grandir.
Bête comme humble elle ne le contredira pas.


Un temps.


Elle laissera 1-2-3 dessins...
10 allers retours en bus, puis métro puis à pattes, sa hauteur d’1m58 encombrée d’un carton à dessin d’1m60 sur 1m20.
Chanceuse elle possède une poignée en métal porte - carton qui sert de rallonge à ses petits bras.
IL ne l’exposera pas. Rangera ses dessins. IL lui suggère un prix modeste ça tombe bien elle l’est. Lui, entend novice.


IL ne l’exposera pas, pas comme elle le croit.
IL s’explique : Les temps sont durs. IL ne peut plus courir le risque d’une exposition individuelle avec vernissage, impression et envoi de cartons d’invitations sur papier satiné de fort grammage.
Elle compatit.


IL s’explique : Cette manière est révolue, elle date d’avant la concurrence des structures associatives.
Elle compatit.


IL regrette la prolifération et l’indépendance des artistes, le temps béni où le créateur sans galerie s’éteignait. Aujourd’hui auto géré, subventionné ce sans-culotte persiste.
Elle pense : Hum.


Il lui explique : IL a découvert INTERNET !
Sa nouvelle vitrine.
IL est fier du site de la galerie et son méchant compteur. IL s’enorgueillit du nombre de visiteurs, lui propose de vendre en ligne son travail.
                                                         
                                 Un dessin, un prix. Vendu, roulé posté et hop 50/50 l’aubaine ! 
                                                                                   Même pas besoin de payer un coup à tes potes.
Elle doute.

IL lui vend le concept d’exposition scolastique regroupant les artistes par origine géographique, ainsi les artistes marseillais,  ou parenté intello-formelle. 

IL lui prend la tête sur des catégories dans lesquelles, dans le bus, dans le métro puis à pattes elle ne se trouve pas.

Elle réfléchit.


Avec l’esprit d’escalier qui la caractérise, elle critique vertement son approche de l’art. 

Y retourne déterminée à causer.
Tiens se dit-IL, elle pense.


Un jour elle s’emporte. Veut en découdre.
Aujourd’hui car elle est très fatiguée.
IL voit venir la rupture. IL pourrait lui rendre ses dessins. Restons en là, quittons-nous.


Mais à la vue des joues creusées, des cernes, du pantalon qui tombe un peu trop sur les hanches, l’idée de sa mort prochaine le traverse. Il s’éclaire de l’intérieur à la pensée d’une côte à la hausse.


Nicole Guidi - Juillet 2016



Photomontage - Juillet 2016

Photographie - Juillet 2016

1 commentaire:

Unknown a dit…

On n'a pas idée de la dureté de ce monde, du marché de l'art. J'ai vu un mauvais film sur un beau sujet (Cézanne, incompris de son vivant), un film-cliché sans aucun doute, mais ton témoignage n'est pas du cliché, il est issu de ce monde mercantile des marchands d'art : quel oxymore, dans mon esprit. Il faut rester soi-même, aller son chemin, malgré les incompréhensions et ne pas vendre son âme. C'est vrai que ton blog est une belle vitrine sur ta vision, tes œuvres picturales, en plus agrémenté de jolis poèmes ou de témoignages bouleversants. Courage !